Photo transpire de la sueur du mouvement, voyage d’un lieu à l’autre. Perdre le soleil clair des lagons pour le gris brillant breton, pour la lumière rouge et crue de l’Afrique, pour les blancs moirés assourdis de la Laponie. Karine Roué croise des lieux où c’est la matière qui joue la vie. Matière qui se travaille des noirs aux blancs, respire et s’envole vers l’encre dans le temps des marins et des transports océaniques, se gorgeant même de rouge ou de rosée. Son travail est vaste et s’origine d’un point qui se répète et se noue à chaque épreuve. Vaste d’un au-delà de la photographie, d’un temps d’avant, d’un travail de la chair lavée et écoutée. Soignante dans un lieu où la souffrance humaine cherche asile ; soignante attentive humant la vie mise à mal. Elève et élevée aux beaux-arts, son dessin traduit cette place d’artiste, dans un continuum non homogène, dans une phrase qui se soutient du point interrogatif. Les lettres étudiées, disséquées, l’université vient y joindre le goût de l’analyse des mots, le théâtre aussi.

L’artiste d’aujourd’hui est la somme conjuguée au temps de tous ces voyages, des rencontres avec d’autres. Son travail en service de psychiatrie, aux beaux-arts, à l’université des lettres, sur un voilier, dans une institution territoriale, forme une danse contemporaine et elle y puise sa photographie. Art y est premier dans sa question essentiellement ontologique, Femme y est présente à chaque seconde.

Photo tricote en points complexes, en jeux d’aiguilles acérées et coupantes mais toujours opérantes.

Karine Roué est une artiste sans concession, elle va le plus loin possible sur chaque trace suivie au flair et à la cohérence difficile, exigeante.

Photo-structure où chaque élément se façonne aux autres, donne un sens à l’ensemble en tissant une toile contenant le tout et la laissant toujours libre de ses discontinuités. Ce qui se joue à chaque image se rejoue dans l’ensemble et forme un chœur brillant, un ensemble polyphonique cohérent, une proto-écriture.

Karine Roué dévoile l’Autre en elle, celle qu’elle abrite sous son arbre, et elle nous invite avec une délicatesse vive à venir y sentir quelque chose.




EXPOSITIONS



2023
Les Énigmes du corps, Premier Colloque international de Psychanalyse du Champ lacanien, Centre hospitalier du Taaone, Pirae, Tahiti, Polynésie française.



2022

Ecoh, Galerie Winkler, Papeete, Tahiti, Polynésie française.


2021
Art-Hine, Galerie Winkler, Papeete, Tahiti, Polynésie française.

Art-Hine, Assemblée de la Polynésie française, Papeete, Tahiti, Polynésie française.

Les Peuples de l’eau, Galerie Winkler, Papeete, Tahiti, Polynésie française.

On ferme la parenthèse, on ouvre le son !, Galerie Winkler, Papeete, Tahiti, Polynésie française.



2020
Hoho’a 2020, Maison de la Culture, Puna’auia, Tahiti, Polynésie française.

Mona Lisa TAPA tout dit, Université de la Polynésie française, Puna’auia, Tahiti, Polynésie française.

Le Off, Galerie Winkler, Papeete, Tahiti, Polynésie française.



2019
Hoho’a 2019, Musée de Tahiti et des îles, Puna'auia, Tahiti, Polynésie française.

The International Tbilisi Photo Festival 2019 : Night of Photography, Tbilisi, Géorgie.

Beyond Boundaries : LensCulture Discoveries in Contemporary Photography, Galerie de la fondation Aperture, Manhattan, New York, Etats-Unis.
2018
The Family of No Man: Revisioning the world through non-male eyes, espace Cosmos Arles Books, Les Rencontres de la Photographie de Arles, France.



2013
The Big Picture, Mois de la Photographie - MoP Denver 2013, Denver, Colorado, Etats-Unis.




DISTINCTIONS











© Karine Roué, 2024, tous droits réservés.




In statu nascendi



le regard s’origine dans des marées équivoques et des courbes étales.
précaire et désorienté, il émerge comme invaginé, operculé, à demi noyé dans la maternité des eaux.
la chair est utérine, elle s’enfle et se désordonne, porte aux nues ou avale. s'étrangle à son impossibilité.
le regard naît.
fission délicates des choses.
vision hallucinée du rivage, perspectives hasardeuses
et angles dilués dans la goutte






Les Architectoniques femelles



Avoir ramené une âme du plain-archaïque, de la part étrange et incurable de soi, un au-delà, en terre femelle, des points limites et rousseur de l'impeaucible.
Sous la forme et mue
émouvante d'une animale,
avoir mis au monde une autre femme.
Instantanéité blonde,exquise langagière






Océaniaque



celle qui est toute et tant, toujours, n'existe pas.
j’ai mille ans          
je suis la somme conjuguée au tant d'angles, de moments
et d'espace-antre.                            
néant-moins l'unième, la portée et l'en-corps, l'irrésolue,l'insoluble ordinale.
alors cette clarté pessimiste où le féminin s’érotise,
suave et sauvage jusque dans les inflexions des bras effilés
et l’interminable charnel.
alors les aisselles poudrées, les cavités nues, les segments d’allumettes,
les vasques aux épaules.
alors la langue

    alors

je suis le regard et son féminin.
la moue menstruelle.
la femme a un bas
    et les mots épilés.
je suis la rousseur et sa solitude. l'inassouvi. 
    la part manquante.
           
je suis le débord
je suis la paresse.
les nuits sans sommeil, le forclos et l’innommable

nuit pâle et décantée
nuit de gésine
je m'encre et m'éprouve. infinitésimale.
acoustique. pieds crus.
océaniaque.          
je m'enfle et me désordonne. ça s'écrit. ça se crie.
ça ne saurait se dire.
ça ne dit rien d'ailleurs. d'ailleurs ça ne raconte rien.
ça ne peut pas. ça échappe aux mots.
ça s'inarticule. ça pulse. ça chante. ça feule.
ça rauque. ça ouvre une étendue.
une mouvance indécise.
une forêt d'épines équinoxes.              
   et de petites lettres.                                          
une architectonique femelle              
ça sent l'humus. la fougère et l'oursin.
ça sent l'animale et l'immense
la stase des libellules et leurs amours processuelles
au loin une séquelle de morphèmes charnus
et de vastes sanglots.

ça pleut vertical
j'écris et m'éprouve.
me dilate dans l'épaisseur du trait. luisante. grasse

    je n'ai pas peur            
    Femme est mon nom.

des rivages internes de l'éclipse
aux bords mousseux de l'étrange
       j'écris en corps
les marées équivoques et leurs courbes étales,
âpres préambules, viscères délicates
onde d'exaltation lente et irrésolue. allusive et floue.
méduse. astéroïde. ou gamète.
       j'écris
comme une tant-hâtive d'originer le vif de la chose dans le bain des épreuves.











La Part mâle



Je suis fascinée par les extrémités sensibles du jour,
les latitudes fondamentales,
les états physiques de l'eau,
l'humain, sa flagrance, ses viscères,
son bitume et son jus.

Au coeur des étroitesses insulaires, des aliénations intimes,
des peurs imaginaires ou hadéennes,
dans l'immensité de l'espace qui s'ouvre par le langage
et l'expérience profonde de l'Art,
en lien avec l'humain, nécessaire encore, toujours déjà :
       - le désir de rejoindre par le ventre le monde océanien.
« Nous irons à nos anciens dieux ».
Jules Michelet, La Sorcière, 1862












Le chaos a sa propre évidence,
l’évidence dépouillée de toute mesure.



Les failles humaines ne doivent pas séparer, cliver ou faire choir. Elles nous obligent à tant qu’il nous faut leur donner forme et asile. L’art est assez vaste pour accueillir la monstruosité dont nous sommes tous la chose.